Saisine des instances internationales

La disparition forcée est un crime contre l’humanité. C’est ainsi que le droit international la désigne à travers l’article 5 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui dispose que “La pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité tel qu’il est défini dans le droit international applicable et entraîne les conséquences prévues par ce droit.” Les États signataires doivent, en théorie, mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à l’application de cette obligation dans leur droit interne. Or, lorsque le pouvoir dénie ce droit, comme c’est le cas en Algérie, des associations telles que le CFDA peuvent se tourner vers les instances internationales pour obtenir justice et faire valoir ce droit.
Cette quête de justice s’incarne à travers une multitude d’actions, dont le dépôt de plaintes, de communications individuelles ou de rapports devant le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires des Nations Unies (GTDFI), le Comité des droits de l’Homme (CCPR), ainsi que la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), auprès de laquelle le CFDA a le statut de membre observateur.
En réunissant des familles, en recueillant leurs témoignages, en établissant des dossiers de personnes disparues ou encore en transmettant des rapports sur la situation des droits humains en Algérie aux instances internationales, le CFDA, depuis sa création en 1998, poursuit sa lutte contre l’impunité d’un système tout entier et met en lumière la souffrance des victimes et de leurs familles, qui vivent à mi-chemin entre la certitude de la vie et de la mort, là où la mémoire est omniprésente et la douleur hégémonique.
Enfin, les diverses actions menées par le CFDA devant les instances internationales permettent d’illustrer, aux yeux de la communauté internationale, la violence systémique qui sévit en Algérie depuis ses balbutiements.
ORGANISATION DES NATIONS UNIES

L’organisation des Nations Unies (ONU) est une organisation internationale regroupant 193 États membres depuis le 14 juillet 2011. Instituée par la ratification de la Charte des Nations Unies signée le 26 juin 1945 par les représentants de 51 Etats, elle remplace la Société des Nations (SDN). Le but premier de l’organisation supranationale est le maintien de la paix et la sécurité internationale en promouvant la protection des droits de l’Homme via l’aide humanitaire, le développement durable et la garantie du droit international qu’il favorise via plusieurs leviers dont la sanction internationales et l’intervention militaire. Divers organes des Nations Unies sont des partenaires privilégiés du CFDA.
A. Le Groupe de Travail sur les disparitions forcées et involontaires des Nations Unies (GTDFI)
En février 1980, sous l’égide de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU et sur l’initiative de l’Assemblée générale, est créé le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires (GTDFI). Depuis maintenant 45 ans, le GTDFI a pour principal objectif d’établir un canal de communication entre les familles de disparus et les gouvernements concernés afin de s’assurer que tous les cas de disparitions fassent l’objet d’une réponse après un examen minutieux et ne soient pas abandonnés ; que toutes les familles obtiennent une réponse sur l’endroit où se trouve leur proche et sur le sort qu’il a connu.
Pour mener à bien sa mission, le GTDFI reçoit, examine et transmet aux gouvernements les communications faisant état de cas de disparitions forcées, transmises directement par les familles ou par des ONG agissant en leur nom. Il demande ensuite aux gouvernements de mener une enquête sur les cas signalés et les informe des résultats, dont il assure le suivi auprès des initiateurs de la demande. Enfin, le GTDFI peut effectuer des visites dans certains pays et fournir des conseils aux États lorsqu’ils en font la demande, afin qu’ils soient en mesure de garantir une protection effective des droits énoncés dans la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Le GTDFI est composé de cinq experts indépendants élus selon un principe de représentation géographique équilibrée. Ces experts examinent les plaintes, rédigent des rapports et formulent des avis conformément à leur mandat. Ils se réunissent trois fois par an à Genève.
Les membres actuels du Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires sont :
- Madame Gabriella Citroni, présidente du GTDFI, nommée en 2021. Originaire d’Italie, elle est professeure adjointe de droit international des droits de l’Homme à l’Université de Milano-Bicocca (Italie) et chargée de cours à l’Académie de droit humanitaire et de droit de l’Homme à Genève (Suisse), où elle enseigne les disparitions forcées en droit international.
- Madame Grazyna Baranowska, vice-présidente du GTDFI, nommée en 2022. Originaire de Pologne, elle est professeure adjointe à l’Académie polonaise des sciences et dirige des projets sur les migrants disparus à l’école Hertie de Berlin, financés par l’Union européenne (UE). L’objectif principal de ses recherches est d’identifier et d’interpréter les obligations juridiques internationales relatives aux « migrants disparus » afin de critiquer et d’influencer les pratiques de l’UE sur ce sujet.
- Madame Ana Lorena Delgadillo Pérez, nommée en 2023. Originaire du Mexique, elle est avocate spécialisée dans les droits humains et possède une expérience significative dans les domaines des droits des femmes, des migrants, des disparitions, des féminicides, des systèmes de justice pénale, de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de la militarisation et de la sécurité des citoyens. Grâce à ses travaux, elle a contribué à une plus grande reconnaissance publique du sort des victimes de graves violations des droits humains en Amérique centrale, en lien avec l’impunité et l’absence d’État de droit dans cette région.
- Monsieur Mohamed Al-Obaidi, nommé en 2024. Originaire d’Irak, il est juriste et défenseur des droits de l’Homme. Il a été membre du Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées entre 2011 et 2017 et a dirigé le département des droits de l’Homme au ministère de la Justice en Irak de 2016 à 2023. Il a contribué à renforcer le rôle de la société civile tout en développant un cadre législatif et institutionnel concernant les personnes disparues en Irak.
- Madame Aua Baldé, nommée en 2020. Originaire de Guinée-Bissau, elle est spécialiste du droit international des droits de l’Homme, en particulier du système africain des droits de l’Homme.
Le GTDFI est l’un des partenaires privilégiés du CFDA auquel il a déjà signalé plus de quatre mille cas depuis 1998, un chiffre qui continue de croître.
Cliquez ici pour consulter les derniers rapports du GTDFI
B. Comité des droits de l’Homme (CCPR)
Le Comité des droits de l’Homme est un organe créé en 1976, pour assurer le respect des dispositions du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) entré en vigueur en 1976. Composé de 18 experts internationaux choisis pour leur “haute considération morale” et leur “compétences reconnues dans le domaine des droits de l’homme” conformément aux dispositions de l’article 28 du PIDCP, ces membres se réunissent trois fois par an pour trois semaines soit à New York ou à Genève.
Le Comité des droits de l’Homme est un organe de surveillance, ce qui entend qu’il rend des avis et des recommandations aux 173 Etats parties du pacte sans pouvoir ni contrainte et aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect du pacte. Il est ce que le Professeur Olivier de Frouville définit comme un “organe quasi-juridictionnel”.
Or, même s’il ne peut sanctionner les Etats, le Comité des droits de l’Homme dispose d’un pouvoir symbolique qui donne à ses condamnations presque morales une portée et une visibilité internationale. Une portée internationale dont fait usage le CFDA en adressant régulièrement des communications individuelles à l’attention du Comité des droits de l’Homme qui a déjà rendu vingt-neuf constatations concernant des affaires de disparitions forcées commises dans les années 90 en Algérie pendant la “décennie noire”.
Ainsi, dans chacune de ces constatations et particulièrement celles relatives à la question des disparitions forcées, le Comité des droits de l’Homme a constaté des violations systémiques des droits fondamentaux consacré par le PIDCP par l’Algérie.
Face à ces diverses violations, le Comité a enjoint l’Etat algérien à mener une enquête approfondie et rigoureuse sur les disparitions forcées survenues durant la guerre civile ; fournir aux familles des indications détaillant les résultats de potentielles enquêtes susceptibles d’avoir été mené sur les cas de disparitions dont les différentes strate de l’Etat ont été informé ; de libérer immédiatement les personnes susceptibles de demeurer détenus en secret si elles sont en vie ou, au minimum, de restituer leur corps à leur famille pour que ceux-ci puisse poursuivre leur travail de deuil. Enfin, il est nécessaire que justice soit faite concernant les exactions commises durant la décennie noire, que les responsables soient punies, les victimes reconnues et indemnisés sans que cette indemnisation ne soit suspendue à une quelconque obligation.
Cliquez ici pour consulter un résumé des communications présentées par le CFDA au Comité
C. Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies
Le Conseil des droits de l’Homme est un organe intergouvernemental du système des Nations Unies composé de 47 États. Au sein de cet organe principal des Nations Unies, les représentants de ces 47 États ont la responsabilité de renforcer la promotion et la protection des droits humains à travers le monde. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies dispose de la compétence nécessaire pour débattre de toutes les questions et situations relevant des droits humains, quel que soit le lieu et la période de l’année. Son siège se situe à Genève, en Suisse.
En 2012, à l’occasion de l’examen de l’Algérie par ses pairs dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU), le Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA) a soumis un rapport au Conseil des droits de l’Homme, constatant que, depuis le dernier examen de l’Algérie en 2008, les autorités algériennes n’avaient pratiquement mis en œuvre aucune des recommandations formulées par les différents mécanismes de protection des droits de l’Homme des Nations Unies.
Le CFDA a sollicité l’intervention du Conseil des droits de l’Homme afin de dénoncer les violations flagrantes des droits humains en Algérie.
- Les Procédures spéciales
En 2019, le CFDA a saisi le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association auprès du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Cette saisine faisait écho aux réponses disproportionnées des forces de police face aux manifestations hebdomadaires organisées tous les mardis matin par des étudiants algériens. Matériel antiémeute, bombes lacrymogènes, canons à eau, interpellations et arrestations arbitraires : la réponse des autorités était aussi claire que violente. La liberté d’expression, d’opinion et d’association des manifestants était en péril.
La seconde fois que le CFDA s’est tourné en urgence vers l’organe intergouvernemental, ce fut suite à l’arrestation arbitraire de deux militants du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) par des membres des forces de sécurité habillés en civil. Ces arrestations les ont ensuite conduits devant le juge d’instruction pour “incitation à l’atteinte à l’intégrité territoriale par diffusion de vidéos sur Facebook” et “port de pancartes et slogans attentatoires à l’unité nationale”. Des accusations qui auraient pu les conduire en prison et constituaient une atteinte grave à la liberté d’association et d’opinion de la part du pouvoir algérien.
ORGANE REGIONAL
A. La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)

La Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a été créée en vertu de l’article 1 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Ce protocole, adopté par les États membres de la feu Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Ouagadougou, au Burkina Faso, en juin 1998, est entré en vigueur le 25 janvier 2004. La CADHP est une cour continentale établie par la volonté des pays africains afin d’assurer la protection des droits de l’Homme et des peuples en Afrique.
L’Algérie est membre de la CADHP et partie au protocole, et le CFDA dispose du statut d’observateur.
Ainsi, lors de la 57ᵉ session ordinaire de la Commission africaine, qui s’est tenue du 4 au 18 novembre à Banjul, en Gambie, le CFDA a été représenté par sa porte-parole, qui est intervenue devant les commissaires pour exposer la situation générale des droits de l’Homme en Algérie et le harcèlement des défenseurs des droits humains. La présidente de Djazaïrouna, association des victimes du terrorisme, invitée par le CFDA, s’est également exprimée sur les violations des droits des femmes par l’Algérie.